Privatiser La Poste? Fastoche!

Privatiser La Poste? Fastoche!

Sylvain Lapoix - Marianne | Mardi 06 Octobre 2009.
Derrière les pseudo garanties du projet, la privatisation de La Poste n'a rien de très compliqué : une loi glissée sur le service universel, un décret sur le changement de statut… et le capital de La Poste S.A. sera sur le marché !


  Face aux discours ronflants de Christian Estrosi, Christine Lagarde et Nicolas Sarkozy, la garantie de non-privatisation de La Poste est bien frêle : deux lignes. Deux petites lignes dans le projet de loi, cachées entre le paragraphe sur l'évolution du statut et celui sur la mission de service public.

Si frêle que le souffle d'un amendement la ferait sauter sans problème, ouvrant le capital à n'importe quelle entreprise désireuse d'investir dans l'opérateur historique. Mais avant cela, quelques ajustements seront nécessaires. Pas d'inquiétude : la procédure ne prendra pas plus de deux ou trois ans !
Premier mensonge : le passage en S.A. était indispensable au refinancement de La Poste
Pas besoin, pour le plan de relance, de basculer la RATP en SA pour injecter des centaines de millions d'investissement ! (capture : relance.gouv.fr) La base de l'argumentaire de Christian Estrosi, c'est le saut de La Poste dans le «grand bain de la concurrence» qui aurait nécessité le basculement en Société anonyme de l'établissement public pour injecter les 2,7 milliards d'euros nécessaires à la modernisation.

Argument totalement infondé : comme l'a fait remarquer Jean-Philippe Gasparotto, représentant CGT à la Caisse des dépôts et consignations, la «doctrine d'investissement de la Caisse des dépôts» (sorte de charte déontologique de la CDC) lui confère le «rôle de tiers» apte à «répondre de manière originale au financement de certains besoins collectifs.» Comme, par exemple, relever le «défi» de l'ouverture du marché à la concurrence.

Autre objection : au moment du plan de relance, 4 milliards d'euros ont été injectés dans des «entreprises publiques» dans un «effort d'investissement» sans qu'il y ait besoin de basculer en Société anonyme la RATP, pourtant un établissement public de type Epic comme La Poste. Mais, sans S.A., impossible de céder des parts du capital. Cette possibilité étant désormais ouverte, entamons la privatisation.
Faire sauter le monopole en glissant une loi
Première étape : contourner la Constitution. Le point 9 du préambule à la Constitution de 1946 précise en effet que «tout bien, toute entreprise, dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité», autrement dit être détenu majoritairement par des organismes publics. Pour descendre sous le seuil des 50%, l'Etat doit donc briser le monopole en élargissant le nombre d'opérateurs de service universel de la distribution de courrier.

«L'Etat a juste besoin d'un support législatif pas complètement étranger au sujet, explique François Brottes, député PS chargé de la riposte sur la privatisation de GDF. ll suffit de glisser un article qui fait passer le nombre d'opérateurs chargés du service niversel de un à plusieurs et l'Etat est démis de ses obligations de rester majoritaire au sein de l'opérateur historique et peut descendre sous la barre des 50%.» Et les prétextes ne manquent pas : une loi de finance, la loi sur la fracture numérique ou toute proposition de loi liée aux télécoms ou aux services publics peut faire l'affaire. Seul critère : que le sujet soit assez éloigné pour que cette modification passe inaperçue dans l'examen de la loi.
Le «piège» de la garantie de statut de fonctionnaire
Deuxième étape : il ne reste plus qu'à passer une loi, ou même un simple décret, pour abaisser le seuil de participation de l'Etat en cédant à un acquéreur privé une part des titres. C'est à cette étape qu'intervient la privatisation proprement dite. Et à cette étape, que se révèle le «piège législatif» de la garantie du statut des fonctionnaires.

En effet, pour contester la validité de la loi, l'opposition devrait saisir le Conseil constitutionnel pour la faire invalider. Or, les sages de la rue Montpensier tranchent dans le vif : quand ils invalident, ils invalident tout le bloc, y compris les garanties de statut de fonctionnaire que les législateurs en charge de la privatisation ne manquent pas d'injecter dans le texte. Comme c'était le cas pour France télécom.

«Si nous avions porté l'affaire devant le Conseil constitutionnel, il aurait censuré la garantie des fonctionnaires, se souvient François Brottes. Le groupe socialiste a préféré assurer leurs statuts aux personnels de France télécom.» Or, la fameuse garantie est déjà brandie en épouvantail aux critiques sur le changement de statut. Toutes les conditions sont donc réunies pour privatiser La Poste. Mais, pas d'embrouille : aucun politicien sérieux ne serait assez stupide pour prendre une décision si impopulaire à la veille d'une élection. Il faudra patienter un peu : mi-2010 ou 2012 et les électeurs seront à point !
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